Je viens de lire ce beau texte sur le geste du graveur dans un blog, et comme ce n'est pas si souvent que la gravure est si bien cernée, je le partage avec vous:
"Un écrivain romantique, peintre à ses heures perdues, croyait faire voeu de réalisme en proclamant: "pour moi, le monde extérier existe". Le graveur s'engage mieux: pour lui, la matière existe. Et la matière existe toute de suite sous sa main oeuvrante. Elle est pierre, ardoise, bois, cuivre, zinc...Le papier lui même, avec son grain, avec sa fibre, provoque la main rêveuse pour une rivalité de la délicatesse. La matière est ainsi le premier adversaire du poète de la main. Elle a toutes les mutiplicités du monde hostile, du monde à dominer. Le graveur véritable commence son oeuvre dans une rêverie de la volonté. C'est un travailleur. C'est un artisan. il a toute la gloire de l'ouvrier.
(...) Le résultat heureusement esthétique ne cache pas l'histoire du travail, l'histoire des luttes contre la matière. Les ruses elles-mêmes de l'acide contre le cuivre, les stratagèmes si différents des entailles du bois, l'approche prudente de la peau grenue de la pierre, bref les temps héroïques du graveur, nous les revivons si nous prenons conscience de la matière initiale attaquée par la main.
Oui, la première matière offensée demeure là, sous le papier, plus au fond que la pâte cellulosique: le bois, le cuivre ne peuvent se laisser oublier, trahir, masquer. La gravure est l'art qui, entre tous, ne peut pas tromper. Elle est primitive, préhistorique, préhumaine. Déjà la coquille a gravé son manteau dans l'inspiration de la substance de sa pierre. La coquille n'a pas travaillé du même burin la silice et le carbonate.
Cette conscience de la main au travail renaît en nous dans une participation au métier du graveur. La gravure ne se contemple pas, elle se réagit, elle nous apporte des images de révail. Ce n'est pas l'oeil seulement qui suit les traits de l'image, car à l'image visuelle est associée une image manuelle et c'est cette image manuelle qui vraiment réveille l'être actif en nous. Toute main est consciente d'action.
G.Bachelard: Le droit de rêver